D'après « La Petite revue », paru en 1864
Dans les années 1860, toutes les personnes ayant l'habitude de visiter les expositions de peinture d'Eugène Delacroix, étaient assurées de rencontrer devant les toiles un certain Monsieur L. qui, depuis plus de vingt ans, avait juré de poursuivre à outrance notre grand peintre.
Voici comment cette haine lui est venue. En 1840, arrivant de Bordeaux, Monsieur L. courut chez Delacroix pour lui présenter ses études. Celui-ci, qui n'était pas toujours d'un abord facile, le reçut mal. Notre homme furieux voulut s'en venger depuis, en essayant de détruire la réputation de Delacroix, dont la mort même (13 août 1863) n'avait pu le calmer.
Chasse aux lions, d'Eugène Delacroix
En 1864, on avait exposé à l'hôtel Drouot la Chasse aux lions. Monsieur L. se garda bien de manquer cette aubaine. D'un bout de la salle à l'autre, on entendait sa voix nasillarde répétant ses critiques d'il y a vingt ans : — C'est de la peinture, ça !... Allons donc ! ce n'est ni peint, ni dessiné. — Ces bras sont trop maigres.— Ce paysage n'est pas le paysage africain.— Je la connais l'Afrique, moi ! — Ces lions sont estropiés, — les têtes ne sont pas emmanchées...
Tout le monde haussait les épaules, lorsqu'un artiste bien connu, moins patient que la foule, s'approcha du vieux rapin, et le prenant par le bras, lui dit : « Et la vôtre de tête, la croyez-vous bien emmanchée ? » Le critique devint d'un rouge pourpre, car sa taille état fort déviée. Il voulut répondre, mais les huées et les éclats de rire de la foule l'en empêchèrent, et il fut forcé de quitter la salle.