D'après « L'art de dîner en ville, à l'usage des gens de lettres », paru en 1810
Né en 1677 à Tarascon, l’abbé Joseph-Privat de Molières était un homme simple et pauvre, étranger à tout, hors la science, et notamment ses travaux sur Descartes. Il travaillait dans son lit, faute de bois, sa culotte par-dessus son bonnet, les deux côtés pendant à droite et à gauche ; c’est dans cette position qu’il se vit enlever un jour le fruit de ses faibles épargnes.
Les circonstances de ce vol sont si singulières qu’elles méritent notre attention. Un matin, l’abbé de Molière entend frapper à sa porte :
— Qui est là ? Ouvrez.
Il tire un cordon et la porte s'ouvre.
— Qui êtes-vous ?
— Donnez-moi de l’argent.
— De l’argent ?
— Oui, de l’argent.
— Ah ! J’entends, vous êtes un voleur.
— Voleur ou non, il me faut de l’argent.
— Vraiment oui, il vous en faut. Eh bien ! Cherchez là-dedans (il tend le cou, et présente un des côtés de sa culotte. Le voleur fouille).
— Eh bien ! il n’y a pas d’argent.
—Vraiment non il n’y en a pas ; mais il y a ma clef.
— Eh bien ! cette clef ?
— Cette clef, prenez-la.
— Je la tiens.
— Allez-vous-en à ce secrétaire. Ouvrez (le voleur met la clef à un autre tiroir).
— Laissez donc : ne dérangez pas, ce sont mes papiers. Ventrebleu ! Finirez-vous ? Ce sont mes papiers : à l’autre tiroir, vous trouverez de l’argent.
— Le voilà.
— Prenez ; fermez donc le tiroir (le voleur s’enfuit). Monsieur le voleur, fermez donc la porte. Morbleu ! Il laisse la porte ouverte ! Quel chien de voleur ! Il faut que je me lève par le froid qu’il fait. Maudit voleur !
L’abbé saute en pied, va fermer la porte, et revient se remettre à son travail sans songer qu’il ne lui restait plus de quoi dîner.