D'après « Le Petit Parisien : supplément littéraire illustré », paru en 1911
Au début du XXe siècle, le métier de marchands de marrons est de plus en plus âpre : les emplacements où ils s'installent sont de plus en plus cher et, le nombre de marchands augmentant, trop de concurrents se disputent la clientèle. Aussi, les mauvais jours approchant, dans le monde des marchands de marrons entend-on le même espoir exprimé : « Pourvu que l'hiver soit rude et que les passants aient besoin de nos châtaignes brûlantes ! »
Un soir, la célèbre comédienne Sarah Bernhardt, revenant accompagnée d'amis, eut l'idée, en passant par la rue de la Chaussée-d'Antin, de réchauffer ses mains au poêle d'un marchand de marrons du nom de Pédriat, et de dévaliser la poêle à rissoler. Affolé par les mines aimables de la grande artiste, le marchand se montra d'un lyrisme à élever la température de son fourneau ; il hasarda même un commencement de déclaration.
Très amusée, Sarah Bernhardt versa sa bourse entre les mains du galant Auvergnat et partit en promettant de revenir. Elle revint, en effet, et chaque fois avec de nouveaux amis. Ainsi une clientèle aussi généreuse que bienveillante se forma autour du marchand ébloui. Au bout de l'année, il avait réalisé six mille francs de bénéfice, et il revient à Saint-Flour, son pays natal, avec des allures de nabab rêvant de subjuguer le monde.
Hélas ! L'année suivante, Sarah Bernhardt avait oublié Pédriat ! La clientèle amenée par la tragédienne déserta le fourneau du marchand de marrons. Or, celui-ci avait fait des frais pour recevoir dignement des acheteurs aussi chics. Il ne put les couvrir et ce fut bientôt un plongeon dans la faillite. Désespéré, Pédriat quitta Paris, traqué par ses créanciers, et depuis ne fut plus aperçu. On sut, plus tard, qu'il était mort quelques années après, en proie à un chagrin intense et dans une misère noire : la bonne fortune du pauvre diable n'avait pas duré longtemps.
Illustration : Sarah Bernhardt, par Marie-Désiré Bourgoin