D'après « Mémoires de Madame Campan »
Louis XIV était fort bon pour ses serviteurs intimes ; mais, aussitôt qu'il prenait son attitude de souverain, les gens les plus accoutumés à le voir dans ses habitudes privées étaient aussi intimidés que si pour la première fois de leur vie ils paraissaient en sa présence...
Des membres de la maison civile de Sa Majesté eurent à réclamer quelques prérogatives dont le corps de la ville de Saint-Germain où ils résidaient leur contestait l'exercice. Réunis en assez grand nombre dans cette ville, ils obtinrent l'agrément du ministre de la maison pour envoyer une députation au roi et choisirent parmi eux deux valets de chambre de Sa Majesté, nommés Bazire et Soulaigre.
Le lever du roi fini, on appelle la députation des habitants de la ville de Saint-Germain ; ils entrent avec confiance. Le roi les regarde et prend son attitude imposante. Bazire, l'un de ses valets de chambre, devait parler ; Louis le regarde : le valet ne voit plus en lui le prince qu'il sert habituellement dans son intérieur ; il s'intimide, la parole lui manque. Il se remet cependant et débute, comme de raison, par le mot Sire.
Mais il s'intimide de nouveau, et ne trouvant plus dans sa mémoire la moindre des choses qu'il avait à dire, il répète deux ou trois fois le même mot, puis termine en disant : « Sire, voilà Soulaigre. » Soulaigre, mécontent de Bazire, et se flattant de se mieux acquitter de son discours, prend la parole. Sire est répété de même plusieurs fois ; son trouble égale celui de son camarade, et il finit par dire : « Sire, voilà Bazire. »
Le roi sourit et leur répondit : « Messieurs, je connais le motif qui vous mène en députation près de moi ; j'y ferai raison, et je suis très satisfait de la manière dont vous avez rempli votre mission de députés. »
Illustration : Louis XIV et sa famille vers 1710, par Nicolas de Largillière