D'après « Gazette anecdotique », paru en 1888
Ce qu'on appelle gaffe, explique en 1888 l’académicien Emile Faguet, c'est généralement ce que nos pères appelaient une impertinence (avant que le mot, perdant sa signification vraie, ne fût devenu tout simplement synonyme d'insolence). C'est à savoir une parole très mal à propos, un mot qui est celui juste qu'il ne fallait pas dire à telle personne, à tel moment, dans telle circonstance...
Il y en a de célèbres dans la littérature et dans l'histoire anecdotique. Il me semble que c'est dans Turcaret qu'il y a les plus fortes et les plus nombreuses. Le Sage aimait ce genre d'amusement qui est très fécond en effets comiques. Il y a des gaffes monumentales, comme celle de cet invité de Voltaire qui complimentait Mme Denis de la manière admirable dont elle avait joué Zaïre. « Oh ! Monsieur, répondait l'excellente femme, un peu ridicule mais excellente, il faut être jeune et belle pour bien jouer Zaïre ! – Oh ! Madame, répliquait avec empressement l'aimable courtisan, le parfait homme du monde, vous êtes bien la preuve du contraire. » Pour une gaffe, voilà une gaffe, c'est la gaffe classique, conclut Faguet.
Sous quelle rubrique classerons-nous celle de ce jeune innocent qui, assis entre Mme de Staël et Mme Récamier, s'écriait : « Me voici entre l'esprit et la beauté ! » Ce qui lui valut cette riposte de Corinne : « Sans posséder ni l'un ni l'autre ». Sainte-Beuve, qui cite également le mot dans un de ses Lundis (tome VIII des Nouveaux lundis dans l'article sur Marie Leckzinska) le donne d'une manière différente : « Un homme assis à table entre Mme de Staël et Mme Récamier s'échappa à dire : « Me voilà entre l'esprit et la beauté ! » ce qui fit dire à Mme de Staël, relevant la sottise : « C'est la première fois qu'on me dit que je suis belle ! »
Illustration : Germaine de Staël