Les ponts, écrit Édouard Fournier dans le Moniteur du 26 janvier 1853, qui n'avaient pas eu les frères pontifes pour bâtisseurs, ou dont la construction n'avait pas eu d'avance la sanctification des aumônes de la pénitence, étaient souvent regardés par le peuple comme des ponts maudits. C'était, disait-on, l'œuvre du diable ou celle des enchanteurs ses suppôts. Tous avaient leur légende, presque partout la même et dans laquelle le diable jouait d'ordinaire le rôle principal.
Par exemple, à Bonnecombe, près de Rodez, aussi bien qu'à Saint-Cloud, à Beaugency, et en d'autres lieux encore où la construction du pont était attribuée au même infernal architecte, on disait tout bas ce conte, que nous donnerons ici, d'après le récit de Monteil, au chapitre X du tome 1 de son Histoire des Français des divers Etats. Il suit la traduction de Bonnecombe, qu'il avait, dit-il, recueillie-lui-même sur les lieux :
« Le maire qui n'était pas sorcier, mais que les sorciers avaient engagé à entrer en négociation avec le diable, convint avec lui qu'aussitôt qu'il aurait terminé ce pont, dont la commune avait grand besoin, il lui donnerait la première créature qui passerait dessus. C'était un homme fin que ce maire, comme vous allez voir. Le jour convenu, loin d'aller se cacher dans le monastère, il se présenta hardiment le premier, au grand effroi de tout le peuple, devant l'entrée du pont; mais il lâcha un chat qu'il avait dans sa large manche. Le diable s'en alla tout honteux, tout confus, tirant le chat par la queue et faisant la plus laide grimace. »
Illustration : Pont de Bonnecombe (Aveyron) appelé Pont du Diable