D'après « L'Époque illustrée », paru en 1895
Vers la fin du Second Empire, l'écrivain et journaliste gastronomique Charles Monselet (1825-1888), surnommé le « roi des gastronomes », résolut un jour de se venger des injures et mauvais procédés dont l'avait largement abreuvé le concierge d’une maison au sein de laquelle il avait séjourné et qu’il venait de quitter.
A ces causes, il se mit en route avec quatre amis, dont l’un était le journaliste Victor Noir (qui sera assassiné en 1870, à l’âge de 21 ans), et l’on se dirigea vers l’ancien domicile du poète. Il était deux heures du matin. Monselet sonna ; l’huis s’entrebâilla, et à la faveur des ombres de la nuit, les cinq compagnons s’introduisirent dans la place. Aussitôt entrés, ils entonnèrent de terribles hurlements ; de leurs gosiers jaillirent des chansons tonitruantes et un tel fracas bondit dans la cage d’escalier, que les globes des becs de gaz pensèrent s’en fêler et deux barreaux de rampe s’en tordre.
Charles Monselet
Effaré, éperdu, le madras de travers sur ses cheveux dressés, en chemise, les pieds nus et un bâton à la main, le concierge sortit de sa tanière ; mais, avant qu’il eût eu le temps de dire un mot ni de faire un geste, il fut saisi, enlevé, emporté dans la rue par les cinq conjurés, et sur son dos la porte, sa porte se referma lourdement. Les cinq n’étaient déjà plus qu’un groupe fuyant qui allait disparaître au tournant de la rue.
N’écoutant que son courage et sa colère, le concierge s’élança sur leurs traces, vociférant des imprécations et brandissant son bâton. Monselet, Victor Noir et les autres, marchaient vite, mais la rage donnait des ailes à leur ennemi, et ils allaient être rejoints, quand passèrent deux sergents de ville. Monselet alla vers eux, et simplement, entrouvrant son pardessus, qui découvrit à leurs regards respectueux le ruban de la Légion d’honneur : « C’est fort ennuyeux ! dit-il. Nous sommes poursuivis, depuis un quart d’heure, par un énergumène. Je ne sais pas ce qu’il nous veut. Ca doit être un fou. Il est en chemise, pieds nus. Un accès de fièvre chaude, sans doute ! »
Et comme, à ce moment, tout essoufflé et bouffant de fureur, le « fou » se ruait sur le groupe, les bons agents le cueillirent sans phrases et l’emmenèrent au poste, finir la nuit.