D'apès « Choix d'anecdotes et faits mémorables » (volume 2), paru en 1792
Le roi Charles V mourut en 1380 à quarante-trois ans. Malgré l'état déplorable où la perte de la bataille de Poitiers et la prison du roi Jean le Bon avaient plongé le royaume, ce prince, vrai restaurateur de la monarchie, remporta plus d'avantages et gagna plus de batailles, sans sortir de son cabinet, que les rois les plus guerriers à la tête de leurs armées.
« Il n'y eut jamais roi de ce France, disait Edouard roi d'Angleterre, qui ait moins porté les armes que Charles V, et qui, toujours la plume à la main, ait plus inquiété ses ennemis. »
C'est le premier de nos rois qui, depuis Charlemagne, ait donné aux lettres un lustre réel, le premier qui ait procuré à la France une traduction française de la Bible, le premier qui ait eu une bibliothèque royale, et qui ait fait le fondement de l'immense collection que l'Europe entière admira plus tard.
Le sire de la Rivière, son chambellan et son favori, s'entretenant avec ce monarque sur le bonheur de son règne : « Oui, lui dit Charles, je suis heureux, parce que j'ai la puissance de faire bien à autrui. » Ce monarque aimait et cherchait ceux qui cultivaient les lettres, ou la sapience, comme on parlait en ce temps-là. Il répondit un jour à des murmures qu'il savait qu'on en faisait : « Les clercs ont la sapience ; on ne peut trop les honorer... Et, tant que sapience sera honorée en ce royaume, il continuera en prospérité ; mais, quand déboutée en sera, il décherra. »
Il n'avait trouvé que vingt volumes dans sa bibliothèque ; il en laissa neuf cents. C'est ce qui a donné commencement à la bibliothèque du roi, la plus riche et la plus précieuse de l'Europe. On eut droit sans doute de dire de lui :
Ci-gît qui répara, quoiqu'il craignît la guerre,
Tous les maux qu'à la France avait faits l'Angleterre.
Illustration : Charles V